• Contexte Juridique et Position Initiale

Depuis le 7 janvier 2011, la Cour de cassation rejetait systématiquement la recevabilité des preuves obtenues de manière déloyale dans le procès civil : « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve » (Cass. Ass. plén., 7 janvier 2011 n° 09-14.316 et n° 09-14.667). Cette position se fondait principalement sur l'article 9 du code de procédure civile ainsi que sur la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantissent un procès équitable. Ainsi, dans un procès civil et notamment aux prud’hommes, l'enregistrement clandestin ou toute autre forme de preuve obtenue par stratagème était considéré comme irrecevable.

  • Revirement de Jurisprudence

Le récent arrêt du 22 décembre 2023 (Cass. Ass. plén., 22 décembre 2023 n° 20-20.648) modifie cette approche en jugeant que l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention d'une preuve ne conduit pas nécessairement à son exclusion. En l’espèce, l’employeur produisait, afin de prouver la faute grave, des transcriptions d’enregistrements audio qu’il avait réalisés à l’insu du salarié lors de deux entretiens. Ce revirement s'inscrit dans une évolution plus large du droit à la preuve, influencée notamment par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui érige la preuve au rang d’un droit qu’il faut protéger en vertu de l’égalité des armes. 

  • Les Garde-fous et la balance des intérêts

Pour éviter les abus et les dérives potentielles de cette nouvelle admissibilité, la Cour de cassation a mis en place des garde-fous. La preuve déloyale n'est pas automatiquement recevable ; elle doit être examinée par le juge du fond, qui évaluera si son admission porte atteinte au caractère équitable de la procédure. Cette évaluation repose sur une mise en balance des intérêts en présence : le droit à la preuve et les droits fondamentaux de la partie adverse.

Le juge devra vérifier que la preuve déloyale est indispensable à l'exercice du droit à la preuve et que l'atteinte aux droits de l'autre partie est proportionnée au but poursuivi. 

L'admissibilité d'une preuve illicite et déloyale permet à l'employeur de prouver la faute du salarié, mais elle facilite également pour ce dernier la présentation de preuves de harcèlement, de discrimination ou d'autres manquements de l'employeur.