• Éligibilité au forfait-jours : le critère d’autonomie dépend de l’activité concrète du salarié

L’affaire concerne une salariée embauchée en tant que vétérinaire, statut cadre. Par avenant à son contrat de travail, elle avait été soumise à un forfait annuel de 156 jours. Contestant la validité de la convention individuelle de forfait, elle a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires qu’elle estimait avoir réalisées. Elle prétendait ne pas pouvoir relever du régime du forfait-jours dès lors qu’elle n'avait ni la qualité de cadre ou de salariée autonome, ni celle de vétérinaire cadre autonome telle que visée par la convention collective applicable. Mais la demande n’a pas abouti. Pour la cour d’appel, « compte tenu de la taille réduite du cabinet et de la présence au sein de ce dernier d’une assistante vétérinaire ou d’une autre vétérinaire », il n’apparaissait pas « que le fonctionnement du cabinet nécessitait l’intégration de l’activité de la salariée dans un horaire collectif ». L’approche des juges d’appel n’est toutefois pas validée par la Cour de cassation. Les motifs développés par la Cour d’appel sont « impropres à caractériser l’autonomie de la salariée dans l’organisation de son emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui lui étaient confiées ». Pas plus qu’ils ne sont de nature à expliquer « les raisons la conduisant à ne pas suivre l’horaire collectif de travail ». Cass. soc. 25-1-2023 n° 21-16.825 F-B

  • Un accord n'instituant pas de suivi régulier permettant de remédier à une charge de travail incompatible avec une durée raisonnable entraîne la nullité de la convention de forfait

En l'espèce, un cadre a été licencié et a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en nullité de la convention de forfait en jours. Pour débouter le salarié, les juges du fond retiennent que l'accord "cadres autonomes et aménagement du temps de travail" signé entre les représentants syndicaux et le représentant de la société, ne porte aucune atteinte aux droits à la sécurité, à la santé et au repos. Ce qui n'est pas l'avis de la Cour de cassation pour qui les dispositions de l'accord n'instituent pas de suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, (...) à assurer une bonne répartition dans le temps du travail de l'intéressé, ce dont il se déduisait que la convention de forfait en jours était nulle. Cass. soc., 25 janvier 2023, n°21-20.912

  • L'autonomie du cadre n'est pas synonyme d'une totale liberté en matière de temps de travail

Un cadre responsable de travaux, soumis à une convention de forfait en jours a été licencié pour faute grave. La lettre de licenciement lui reprochait une modification unilatérale de ses horaires de travail. Pour contester son licenciement, le salarié affirme que l’employeur ne peut lui reprocher d’avoir diminué son temps de travail dans la mesure où il est tenu par une convention annuelle de forfait en jours lui laissant une liberté dans l’organisation de l’exécution de ses missions sans contrainte sur une plage horaire de présence. Réponse des juges du fond : Il est établi que le salarié a, sans avertir son employeur, déménagé son lieu de vie à plusieurs centaines de kilomètres de son lieu de travail, et utilisait deux demi-journées de la semaine en trajets entre son lieu de vie personnel et son lieu de travail. L’autonomie du cadre en forfait jours ne doit pas méconnaître les amplitudes légales obligatoires, ni l’obligation contractuelle de réaliser le temps de travail convenu en jours. L’autonomie ne doit pas être confondue avec la possibilité de ne plus travailler l’équivalent de deux demi-journées. En mettant en place une organisation de son temps de travail qui ne permet pas de respecter ses obligations, et qui fait courir des risques juridiques à l’employeur, sans lui en référer, le salarié a effectivement fait preuve de déloyauté. CA Reims.Soc,11 janv 2023 / n° 22/00729

  • La validation d’une journée de travail subordonnée à une présence de six heures remet en cause la validité du forfait-jours

La cour d'appel, qui a constaté que le salarié était soumis à une obligation de pointage et qu'une journée de travail, pour être validée, devait comptabiliser six heures de présence dans l'entreprise, a pu en déduire que ce dernier ne disposait pas d'une réelle autonomie dans l'organisation de son emploi du temps pour être éligible à une convention de forfait en jours. Cass, 7 juin 2023, n° 22-10.196

  • Des contraintes internes ne peuvent justifier un retard dans la tenue de l'entretien lié à la charge de travail des salariés au forfait-jours

Le contrat de travail d’un salarié prévoit une convention de forfait annuel de 217 jours. Le salarié, ayant démissionné, saisit la juridiction prud’homale de demandes au titre de la convention individuelle de forfait en jours. La cour d’appel constate qu’aucun entretien annuel n’a eu lieu en 2018. L’employeur justifie qu’en raison de la démission de son directeur général et de la prise de fonction par la suite du nouveau directeur des opérations, les directions des différents hôtels sont convoquées à l’entretien individuel de suivi du forfait-cadre au titre de l’année 2018, en mars 2019. La Cour de cassation relève un non-respect des obligations légales et conventionnelles de l’employeur puisque : lors de l’entretien réalisé en 2017, le salarié a signalé l’impact sérieux de sa charge de travail et le non-respect ponctuel du repos hebdomadaire. Les convocations pour l’entretien pour 2018 n’ont été adressées qu’en mars 2019 ; le repos hebdomadaire n’a pas été respecté à plusieurs reprises en 2016, 2017, 2018. Le forfait annuel a été dépassé de 25 jours en 2016, 26 jours en 2017 et 30 jours en 2018. La Cour relève qu’il importe peu que le non-respect à ces obligations par l’employeur soit lié à des contraintes internes à l’entreprise. En outre, la récupération ou le paiement des jours de dépassement du forfait en jours ne permettent pas de dire que l’employeur a mis en place des mesures de nature à remédier en temps utile à la charge de travail du salarié incompatible avec la durée raisonnable de travail dont il a été informé. Cass. soc., 10 janv. 2024, nº 22-13.200 FS-B

  • Un accord collectif incomplet n'empêche nullement la poursuite ou la conclusion des conventions individuelles de forfait en jours, dès lors que l’employeur respecte les dispositions prévues par le régime dérogatoire

L’employeur peut combler les insuffisances d'un accord collectif instaurant le régime de forfait-jours. Aux termes de l'article L. 3121-65 I du code du travail, à défaut de stipulations conventionnelles, une convention individuelle peut être valablement conclue sous réserve des dispositions suivantes : l'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ; l'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ; l'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération. En cas de manquement à l'une de ces obligations, l'employeur ne peut se prévaloir du régime dérogatoire ouvert par l'article L. 3121-65 du code du travail. La convention individuelle de forfait en jours serait donc nulle. Cass. soc., 10 janv. 2024, n° 22-15.782

  • L’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires. Tel n’est le cas ni des dispositions de la convention collective des avocats salariés relatives au forfait annuel en jour, ni des stipulations de l’accord d’entreprise relatif à l’organisation du temps de travail, selon la Cour de cassation. En "ne permettant pas à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable", elles "ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé". La convention de forfait en jours est nulle. Cass. soc., 24 avril 2024, n° 22-20.539

  • La nullité d’une convention de forfait jours ouvre droit au paiement d’heures supplémentaires

Lorsque l'employeur ne respecte pas les dispositions légales et les stipulations de l'accord collectif qui ont pour objet d'assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié et de son droit au repos, la convention de forfait en jours est privée d'effet de sorte que le salarié peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l'existence et le nombre. Cass. soc., 27 mars 2024, n°22-17.078