[caption id="attachment_8289" align="alignleft" width="150" caption="Jean-Marc Monteil, professeur au CNAM"]Jean-Marc Monteil[/caption]

Elle évoque aussi bien des dispositifs publics que des modalités d’organisations pédagogiques. Elle désigne à la fois des contenus de politique de formation et/ou des politiques d’emploi, dans le cadre des mesures d’aide à l’insertion par exemple.

On peut néanmoins s’accorder sur le fait que l’alternance recouvre des formes d’enseigner et d’apprendre qui articulent une formation dite théorique, en référence à l’univers académique et une formation dite pratique, en référence au monde du travail. Cela quels que soient les lieux autour desquels elle est organisée.

Dans le système éducatif français, la linéarité des parcours finalisés par les concours a depuis toujours entretenu l’opinion selon laquelle les cursus à « ligne brisée » marqueraient, ou masqueraient, une insuffisance intrinsèque des individus. Dans la mesure où les parcours linéaires sont assez largement corrélés avec une origine sociale plutôt élevée et avec les codes culturels les plus véhiculaires et qu’ils débouchent sur les positions professionnelles les plus en vue, la voie de l’alternance ne bénéficie donc pas, dans la représentation dominante de la réussite dans l’éducation, d’un statut particulièrement valorisé [en France]. L‘alternance devrait donc ouvrir l’expérience de l'ensemble des apprenants à des activités qui ne relèvent pas du seul cadre de référence scolaire et ainsi enrichir leurs possibilités d’expression et de réalisation. Ouvrir l’expérience de tous à des activités qui ne relèvent pas du seul cadre de référence scolaire permettrait ainsi d’enrichir leurs possibilités d’expression et de réalisation. En effet, la diversité des compétences, la pluralité des cultures, la complexité des parcours, la fragilité comme la solidité intellectuelle et sociale des personnes, à certains moments de leur trajectoire, ne sauraient en effet figer une conception du talent réduite à une seule dimension.

 

L’alternance est souvent présentée comme  LA solution aux maux de l’emploi, voire comme une voie à opposer à l’enseignement académique. Quel est votre avis ?

Jean-Marc Monteil : L’alternance ne saurait être considérée comme la solution pour favoriser l’emploi et réduire les inégalités et les difficultés scolaires. Rien, en effet, dans les données connues ne permet de dire que l’alternance soit en mesure de corriger les maux liés aux difficultés de l’emploi. On ne saurait, par ailleurs, l’opposer aux modalités académiques habituelles. Les connaissances acquises dans l’univers académique demeurent la base même de toute acquisition future. En revanche, en offrant des contextes plus variés en augmentant les voies d’accès à la connaissance, la pratique de l’alternance peut contribuer à promouvoir des réussites différentes plutôt que nous conduire à constater des différences de réussite.

 

L’alternance se développe dans l’enseignement supérieur. Ce mouvement est-il de bon augure et mérite-t-il d’être renforcé ?

Jean-Marc Monteil : Le développement récent et significatif de l’alternance dans l’enseignement supérieur s’avère de nature à requalifier les voies de d’alternance comme des voies praticables à l’égale des autres, dans un contexte académique qui a toujours tendance à considérer les parcours rectilignes comme les parcours canoniques. C’est donc un signe encourageant pour la reconnaissance de la diversité des « approches de la connaissance ».

 

Depuis l’Education permanente dans les années 70 aux différentes réformes pour une formation tout au long de la vie, le positionnement de l’individu au cœur de ces dispositifs est resté posé face notamment aux forces du marché. Qu’en est-il aujourd’hui au regard de la formation professionnelle en générale et de l’alternance en particulier ?

Jean-Marc Monteil : Dans des sociétés de plus en plus professionnellement nomades, en raison des incertitudes liées à l’emploi, le lien intergénérationnel, par essence organisé autour de l’action et de l’activité durablement partagées se délite et, dès lors, le tissu social se déchire. La promotion de la formation tout au long de la vie constitue donc un enjeu majeur pour créer de nouvelles coopérations productives entre générations qui, en dépit de la générosité des discours tenus, font de plus en plus cruellement défaut.

Dès lors, dans la formation tout au long de la vie, l’alternance doit être consubstantielle de la diversité des parcours et des expériences et alimenter la qualité des connaissances et leur disponibilité en les proposant sans hiérarchie préétablie. La sécurisation des parcours professionnels et une certaine forme de stabilité personnelle en dépendent. La reconnaissance des acquis doit en jalonner les étapes en validant conjointement la réflexion et l’action, en instituant l’égale dignité des connaissances à acquérir et des connaissances importées de l’expérience professionnelle.

Dans cette perspective, le dispositif d’alternance doit être aussi un dispositif d’alternatives pour répondre à la variété des besoins exprimés. Ces besoins sont à la fois professionnels, personnels et sociaux. […] Professionnels d’abord, par ce qu’il s’agit de répondre aux exigences d’adaptations nées, par exemple, de migration professionnelles, volontaires ou contraintes. Personnels ensuite, parce qu’il s’agit de conforter et de développer l’estime de soi par la reconnaissance des acquis d’une expérience qui signe, le plus souvent, la qualité et le sérieux d’un engagement dans le travail. Sociaux enfin, parce qu’il s’agit de favoriser le maintien du lien social, en permettant aux différentes générations de continuer à partager les codes attachés aux nombreuses évolutions scientifiques, technologiques, culturelles et comportementales à l’œuvre dans le cadre de l’évolution de nos sociétés.

 

Pour aller plus loin :
Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Site du ministère du Travail, section formation en alternance
Site du CESE et étude de JM Monteil sur l'alternance dans l'éducation