La liberté religieuse en entreprise :
est-elle permise ?
14/02/2018
Le sujet de l’exercice de la liberté religieuse au travail est d’une telle sensibilité qu’il fait grandir la tentation de l’interdire sur le lieu de travail afin de garantir une neutralité absolue. Cela n’est pourtant pas permis et ce droit est particulièrement protégé en entreprise.
La liberté de religion est un droit fondamental et à ce titre elle bénéficie d’une protection accrue. Comme le rappelle la Cour européenne des droits de l'Homme, c’est un des piliers fondamentaux de toute société démocratique. Dans le code du travail, les libertés individuelles et collectives des salariés sont garanties par les articles L1121-1 et L1321-3. Cette liberté se manifeste par le droit de croire ou de ne pas croire, il en résulte l’interdiction des actes de prosélytisme.
Comment se traduit-elle pour les salariés ?
Cela dépend s’ils travaillent dans le secteur public ou privé. Dans la fonction publique elle ne peut pas justifier les manifestations religieuses puisqu’elle est doit être conciliée avec le principe de neutralité du service public et la laïcité. Par extension, des salariés de droit privé qui gèrent un service public sont eux-aussi soumis à cette neutralité. En revanche, en entreprise le principe est la liberté d’expression et l’exception est l’entrave à son exercice.
Peut-il y être porté atteinte ?
Dans une entreprise qui relève de la sphère privée la liberté des salariés doit être préservée néanmoins des restrictions justifiées et proportionnées peuvent être faites aux libertés. Ainsi, la loi Travail de 2016 a inséré une nouvelle disposition dans le code du travail à l’article L1321-2-1 : « Le règlement intérieur[1] peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».
Quelle est la position de la jurisprudence ?
La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu deux arrêts à ce sujet le 14 mars 2017 qui ont inspiré la jurisprudence française. Ainsi, la Cour de cassation a précisé sa position dans un arrêt du 22 novembre dernier. Elle reconnait les clauses de neutralité inscrites au règlement intérieur à certaines conditions. Tout d’abord, la clause doit avoir une portée générale, c’est-à-dire interdire les signes religieux, politiques et philosophiques. C’est une condition indispensable pour qu’elle ne constitue pas une discrimination directe qui serait prohibée. En revanche, elle ne peut pas s’appliquer à l’ensemble du personnel, il faut qu’elle vise uniquement ceux pour qui cela semble justifié, en l’occurrence ceux en lien avec la clientèle. Ensuite, elle doit s’accompagner d’une obligation de recherche de reclassement de la salariée qui s’oppose à l’application de la clause à un autre poste qui serait compatible avec le port du voile. Enfin, une telle clause ne peut être issue que du règlement intérieur ou d’une note de service. En l’espèce, il en résulte que la seule prise en compte des exigences d’un client concernant le port du voile islamique ne permet de justifier une telle restriction à la liberté religieuse des salariés.
Quel rôle joue les représentants du personnel ?
Il est obligatoire de consulter le comité social et économique en matière de conditions de travail, précisément quant aux modalités d’exercice du droit d’expression des salariés. Plus généralement, le ministère du travail a insisté sur l’importance d’associer les représentants du personnel pour aborder ce sujet. Ainsi, il souligne « l’intérêt d’un dialogue étroit entre l’employeur et les représentants des salariés sur le sujet du fait religieux lorsque l’entreprise y est confrontée. Les instances représentatives du personnel doivent être pleinement associées aux décisions prises par l’employeur au titre de leurs attributions respectives. »[2]
[1] Pour rappel, le règlement intérieur est un document rédigé unilatéralement par l’employeur dans lequel figure les règles relatives à l'hygiène, la sécurité et la discipline dans l’entreprise.
[2] Extrait du GUIDE PRATIQUE DU FAIT RELIGIEUX DANS LES ENTREPRISES PRIVEES