Les faits :
31 représentants du personnel de la société Renault-Trucks ont saisi le conseil des prud’hommes. Ils estimaient avoir subi une discrimination syndicale, arguant d’absence d’augmentations de salaires et d’évolution professionnelle. Dans le cadre de la procédure, les conseillers prud’homaux ont ordonné à la société de produire un certain nombre de renseignements concernant notamment :
- Les noms, prénoms, sexe, date de naissance, âge et la date d'entrée de chacune des personnes embauchées sur le même site, la même année ou dans les deux années précédentes ou suivantes dans la même catégorie professionnelle,
- Les bulletins de salaire et avenants correspondants,
- Les dates et montants des augmentations de salaire depuis l'embauche et leur périodicité,
- Leurs qualification/classification et coefficient actuels,
- Leurs formations qualifiantes et leur date de suivi,
- Le salaire net imposable et brut actuels.
Mais l’entreprise considère que certains de ces éléments -notamment les bulletins de salaires- comportent des données personnelles, l'adresse postale, le numéro de sécurité sociale, le taux d'imposition, le contenu détaillé des absences, les éventuels congés pour événements familiaux ou la domiciliation bancaire. Elle invoque donc le RGPD pour échapper à la requête.
La cour d'appel, « ayant constaté que seul l'employeur détenait les éléments demandés et retenu que ceux-ci étaient nécessaires afin que les salariés fassent valoir leurs droits dans le cadre d'un procès à venir », et que ces informations étaient utiles à la comparaison destinée à évaluer l'existence ou non d'une discrimination, considère que la communication ordonnée par les Prud'hommes « était indispensable et proportionnée au but poursuivi qui est la protection du droit à la preuve de salariés éventuellement victimes de discrimination ».
La Cour de cassation a confirmé cette décision. En l’occurrence, le quatrième « considérant » du RGPD est tout-à-fait clair : « Le traitement des données à caractère personnel devrait être conçu pour servir l'humanité. Le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu ; il doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité. Le présent règlement respecte tous les droits fondamentaux et observe les libertés et les principes reconnus par la Charte, consacrés par les traités, en particulier le respect de la vie privée et familiale, du domicile et des communications, la protection des données à caractère personnel, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d'expression et d'information, la liberté d'entreprise, le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, et la diversité culturelle, religieuse et linguistique. »
Par ailleurs, selon l'article 145 du code de procédure civile, « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé ». Et selon la jurisprudence issue de l’arrêt n° 18-16.516 du 11 décembre 2019, « le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».
La décision :
La Cour de cassation a logiquement rejeté le pourvoi de la société Renault Trucks. Le principe de proportionnalité était parfaitement respecté, car tous les éléments demandés étaient nécessaires pour procéder à une comparaison utile de la situation des représentants du personnel par rapport à ceux qui ne l'étaient pas. L’objectif était légitime et rien n'était superflu. C'est au juge qu'il appartient, avant d'ordonner la communication des éléments protégés par le RGPD, de vérifier que cette entorse au règlement est indispensable et n'est pas excessive par rapport à ce que les requérants en attendent. Par conséquent, la Cour de cassation a condamné la société Renault Trucks à payer aux 31 salariés la somme globale de 3 000€.
Une jurisprudence qui fera date !