En l'espèce, le directeur salarié d'une association s'était livré envers ses subordonnés à des actes de harcèlement moral au sens de l'article L122-49 du Code du travail. Ces agissements répétés avaient été établis par un rapport de l'inspection du travail en 2002 et constatés par un médiateur. L'employeur avait suspendu le directeur de ses fonctions d'encadrement en janvier 2003, puis l'avait licencié en mars 2003. Mais, en février 2003, les salariés victimes ont engagé une action en réparation de leur préjudice tant contre le directeur, harceleur, que contre l'employeur.
Les juges du fond, la Cour d'appel, avaient condamné le directeur à payer des dommages et intérêts aux salariés victimes, mais avaient déchargé l'employeur de toute responsabilité en l'absence de faute de sa part.
Le directeur a contesté cette décision devant la Haute cour et s'est prévalu de la jurisprudence de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation qui détermine que la responsabilité civile du préposé n'est pas engagé lorsque sa faute n'est pas détachable de la mission qui lui a été confiée par le commettant (Cass. Ass. Plén. 25 février 2000, n°97-17.378). De plus, il met en avant l'obligation de prévention de l'employeur en matière de harcèlement moral.
La Cour de cassation se fonde sur les dispositions propres aux relations de travail. Ainsi, sous le visa des articles L122-49, L122-51 et L230-2 du Code du travail, elle décide que l'obligation pesant sur l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les agissements de harcèlement n'exclut pas la responsabilité du salarié en cas de manquement à sa propre obligation de sécurité (article L230-3 du Code du travail).
Le salarié qui se rend coupable intentionnellement de harcèlement moral à l'égard de ses subordonnés engage sa responsabilité personnelle.
De plus, elle décide et en ce sens elle va plus loin que l'arrêt de l'Assemblée Plénière (14 décembre 2001, n°00-82.066) qui considérait que le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fut-ce sur l'ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l'égard de celui-ci. En effet, la Chambre sociale reconnaît la responsabilité civile du préposé sans poser la condition d'une condamnation pénale de l'intéressé (pour rappel, le harcèlement moral est bien constitutif d'une infraction pénale).
La Haute cour décide que s'ajoute à la responsabilité du harceleur, celle personnelle de l'employeur même en l'absence de faute. Elle pose ainsi, à la charge de l'employeur, une obligation de résultats en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, notamment en matière de harcèlement moral.
Il est à noter que la décision de la Cour de cassation concernant la responsabilité du harceleur, l'exigence d'agissements commis intentionnellement semble superflue dans la mesure où il est difficile d'imaginer que de tels agissements puissent être commis involontairement ou avec maladresse. De même, la solution aurait été identique pour la responsabilité personnelle d'un salarié envers ses collègues, puisqu'il n'est fait aucune référence au rapport d'autorité.
De plus, concernant la responsabilité de l'employeur même en l'absence de faute, elle obligera désormais celui-ci a veiller à respecter son obligation de prévention et à ne plus rester trop longtemps passif face aux agissements de harcèlement moral.
Cette solution de la chambre sociale de la Cour de cassation en se fondant sur des dispositions propres aux relations de travail est un grand pas, pour la réparation du préjudice subi, au bénéfice des salariés de plus en plus victimes de la souffrance au travail.
Pour info :
L'article L122-51 du Code du travail met à la charge de l'employeur une obligation de prévention du harcèlement afin d'en empêcher la survenance. Il lui appartient de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les actes de harcèlement moral.
L'article L230-2 du Code du travail met à la charge de l'employeur l'obligation de protéger la santé physique et mentale des salariés.
L'article L230-3 du Code du travail met à la charge du salarié notamment l'obligation de prendre soin de la santé des personnes concernées du fait de ses actes et de ses omissions au travail.