Pendant longtemps, le sort des personnes âgées inactives et sans ressources n'a relevé que de la charité, à l'initiative d'organismes religieux, ou de la solidarité, à l'initiative par exemple des corporations pour leurs membres. En 1910, une loi instaure les retraites ouvrières et paysannes à partir de 65 ans, âge ramené à 60 ans en 1912. En 1945 ce principe est repris par les ordonnances créant la Sécurité sociale : la branche vieillesse assure une pension de 20 % du salaire si la retraite est prise dès 60 ans, ou de 40 % à 65 ans. En 1977, les femmes obtiennent la retraite à taux plein à partir de 60 ans. En 1982, la retraite à 60 ans, avec 50 % du salaire, est enfin accordée à tous les travailleurs.


Si l'histoire est complexe et le parcours difficile, le progrès lui est aujourd'hui incontestable : on est passé, de 1975 à 1995, d'une société où les retraités étaient relativement pauvres à une société où ils sont relativement aisés, le niveau de vie des ménages de plus de soixante ans ayant dépassé celui des moins de soixante ans.


Force est pourtant de constater que les réformes successives ont progressivement détérioré cet acquis historique. Certes, le débat sur les retraites n'est pas clos. Les questions liées à la pérennité de nos systèmes par répartition, tout comme celles liées au financement, se posent toujours avec autant d'acuité. Une rapide analyse des données statistiques montre qu'avec un taux de natalité inchangé et une espérance de vie après 60 ans qui croît au même rythme, il y aura, en 2040, 21,6 millions de personnes de plus de 60 ans contre 12,1 millions en 2000 et seulement 29,6 millions de personnes âgées entre 20 et 59 ans, soit 11,6 millions de moins qu'en 2000.
Le ratio inactif/actif nommé « dépendance vieillesse » devrait donc, dans les années à venir, augmenter vers le niveau d'un actif pour environ deux retraités. Sur le plan économique, cela se traduit par une augmentation de la part des retraites dans le PIB d'environ 4 %, soit 16 % d'ici 2040, au lieu des 12 % actuellement.
Dans ces conditions, la nécessité d'une réforme du système des retraites pour assurer le financement des régimes par répartition et maintenir la solidarité entre les générations ne fait aucun doute.
Or, jusqu'à présent, la seule logique qui a prévalu dans les différentes réformes engagées au sein de nos régimes, comme d'ailleurs dans de nombreux pays en Europe, a consisté à pénaliser les salariés et les retraités, d'abord en jouant sur le mode de revalorisation des droits à pension et des retraites elles-mêmes (indexation sur le prix et non plus sur les salaires), puis par l'extension du nombre des années de référence prises en compte pour le calcul de la retraite, et enfin par l'allongement de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Ces réformes successives se sont toujours traduites par un net recul des avantages et des garanties collectives.


Censées sauvegarder les dispositifs existants et soulager les générations futures d'un supposé "fardeau", ces réformes n'ont eu de cesse de remettre en cause le principe même de la répartition, contribuant mécaniquement à l'asphyxie du système par la promotion d'un remplacement à terme des cotisations sociales obligatoires par des souscriptions volontaires au libre choix des employeurs ou, à défaut, à la seule charge des salariés.
En appliquant leurs effets successifs à l'intégralité des carrières des salariés débutant leur activité professionnelle en 1990, la baisse du taux de remplacement brut global varie de 22 % pour ceux qui auraient une durée de cotisation au moins égale à 40 ans, à un peu plus de 40 % pour des carrières incomplètes.


Bien que cette baisse du taux de remplacement touche l'ensemble des catégories socioprofessionnelles, il apparaît clairement à la lumière de nombreuses études que les cadres sont parmi les salariés les plus directement concernés par la dégradation du montant des pensions.
Ainsi, en l'absence de toute réforme depuis les années 90, un cadre ayant travaillé 40 ans et rémunéré à 200 % du salaire moyen percevrait à 60 ans une pension égale à 73 % de son salaire (26,2 % au régime général + 12,6 % à l'ARRCO et 34,2 % à l'AGIRC). En revanche, si l'on tient compte des impacts liés aux effets des réformes depuis 1990 (Balladur et Fillon), le montant de cette même pension subit une baisse de plus de 40 %, contre 28 à 35% pour un salarié non cadre.
A cela viennent s'ajouter les effets négatifs d'un raccourcissement d'une carrière complète par l'entrée tardive dans la vie professionnelle du fait d'études plus longues. Dans ce cas de figure, la baisse des taux de remplacement dans le régime général varie entre 30 et 44 % pour des cadres ayant travaillé entre 34 et 38 ans. Au niveau des régimes complémentaires, cette baisse du taux de remplacement est encore plus importante ; elle est comprise entre 34 et 44 %. Compte tenu de la forte contribution des régimes complémentaires pour les cadres, la baisse du taux de remplacement global a donc un effet désastreux sur le montant de leur retraite. Pour ceux ayant des durées de cotisation variant de 35 ans à 38 ans, cette baisse est de plus de 40 %.
Quant aux interruptions d'activités professionnelles et l'introduction de périodes de chômage non indemnisées qui, sauf exception, ne sont pas validées comme durée d'assurance, elles viennent aggraver la très forte baisse des pensions. Et sur ce point, la situation des cadres seniors est préoccupante. Les données relatives au suivi du taux de retour à l'emploi des cadres au chômage inscrits dans le dispositif du PARE en 2005 à l'APEC en attestent. Selon ces chiffres, seuls 15% des cadres de 50 ans et plus sont en emploi salarié à 12 mois et 6 d'entre eux sur 10 n'avaient pas retrouvé un emploi au bout de 12 mois.


Suivent ensuite les effets liés aux inégalités sociales qui pénalisent particulièrement les femmes cadres qui, toutes choses égales par ailleurs, continuent de percevoir des salaires inférieurs de 25 % par rapport à leurs homologues masculins. Ce manque à gagner "impacte" directement le montant des pensions par le calcul du salaire de référence. Ces pertes de revenu pénalisent d'autant plus les femmes que ces dernières cumulent les effets conjugués à l'introduction de périodes d'activité à temps partiel, plus souvent subies que souhaitées, dans le calcul de leur retraite. Cette baisse liée à une activité à temps partiel (10 ans à partir de l'âge de 30) est estimée entre 7 et 10 % contre 5 à 6 % pour les salariés non cadres.
Au niveau des régimes complémentaires, le mécanisme des points a un effet plus fort, du fait même du mode d'acquisition. Le temps partiel est en fait considéré comme un choix individuel qui comporte des conséquences négatives et non, comme pour le chômage, comme un risque qu'il faut compenser.
Rien d'étonnant alors qu'à la suite des différentes réformes et à leurs impacts sur le montant des pensions, les cadres manifestent une vive inquiétude quant au devenir de leur retraite.
Sans compter qu'une dernière étude révèle que pour la dernière génération étudiée (née en 1965-1966), qui liquidera sa retraite en 2030, le montant des pensions sera inférieur de 30 % à l'ARRCO et de 24 % à l'AGIRC, à ce qu'il aurait été s'il n'y avait pas eu cette baisse du rendement. Le premier bilan des négociations actuellement en cours sur la recherche de l'équilibre financier du régime AGIRC n'est d'ailleurs guère encourageant sur ce point. Le MEDEF refuse obstinément toute possibilité d'augmentation du taux de cotisation écartant ainsi la possibilité de se priver d'une nouvelle opportunité de baisse de la part salariale dans le partage des fruits de la croissance.


Alors que faire ? Que faire pour conserver nos systèmes de retraite sur la base du principe de la solidarité entre les générations et garantir ainsi un niveau de pension satisfaisant pour l'ensemble des salariés ?


Tout d'abord réfuter les idées fausses. Idées fausses qui visent à justifier la faillite de nos régimes par l'alibi démographique verrouillant du même coup le débat sur les retraites. Le prétendu choc démographique n'est en réalité qu'une période de transition dont la présentation apocalyptique s'efforce d'écarter de nombreux autres paramètres comme le ratio de "dépendance économique", c'est-à-dire le rapport entre l'ensemble des personnes sans emploi (inactifs jeunes et vieux, chômeurs) et la population en emploi.
Si le nombre d'inactifs tend à augmenter, celui des inactifs de moins de 20 ans tend à diminuer et, avec lui, les dépenses sociales afférentes (santé, éducation, formation...). Dans le même temps, la raréfaction des ressources en main d'oeuvre, liée à cette baisse démographique, doit logiquement conduire à une baisse du chômage. Ceci suppose à la fois une baisse des ressources allouées à la lutte contre le chômage et une baisse des exonérations de cotisations sociales accordées aux employeurs pour favoriser l'embauche et dont l'efficacité reste, à ce jour, encore à démontrer.


Relancer le débat sur la politique économique et particulièrement celui sur la "déformation" du partage entre les revenus du travail et du capital. Cette déformation a pour conséquence de réduire les investissements dans le secteur industriel. En exigeant des taux de rentabilité à deux chiffres, les fonds de pension anglo-saxons -propriétaires à 45 % des entreprises du CAC 40- reportent le risque financier sur les entreprises cotées. Ces dernières externalisent alors leurs activités coûteuses en main-d'oeuvre vers des PME qui, à leur tour, multiplient les contrats précaires et modèrent les salaires. La progression du salaire direct se trouvant entravée, celle du salaire différé s'en trouve alors réduite privant les régimes sociaux de leur source de financement tout en subissant la pression du mouvement à la hausse des profits.
A titre d'exemple, en 1984, la part des salaires représentait 70 % de la valeur ajoutée. Elle est tombée à 60 % en 1996 et est remontée autour de 63 % aujourd'hui, ce qui fait que la majorité des profits aujourd'hui sont redistribués sous forme de dividendes. Rien qu'au premier semestre 2006, les profits des sociétés cotées au CAC 40 ont augmenté en moyenne de 21 %, soit un bénéfice net cumulé de 51,3 milliards d'euros, contre 42,5 milliards au cours des six premiers mois de 2005. Ces sommes ont été principalement utilisées pour effacer les dettes nées de la frénésie de fusions et ont permis aussi le versement de 22 milliards de dividendes.
Il suffirait "de maintenir la part salariale à son niveau actuel pour absorber l'augmentation du nombre de retraités, tout en leur garantissant un taux de remplacement inchangé". La réforme du régime par répartition n'a alors pas le caractère inéluctable que les économistes libéraux et autres politiques veulent bien lui prêter.
Relancer ce débat, c'est vouloir remettre en perspective les leviers d'actions possibles sur le plan macro-économique et étudier l'abandon de l'équilibrage des régimes par le taux de remplacement pour lui privilégier celui de l'ajustement par le taux de cotisation. En effet, les gains de productivité, entre autres, permettent la création de richesses. Bien que d'un rythme moins soutenu par rapport à la période dite des Trente Glorieuses, les gains de productivité estimés autour de 1,7 % depuis 20 ans sont un surplus dont le partage entre le capital et le travail mais aussi entre les actifs (augmentations des salaires) et les retraités (revalorisation des pensions) doit faire l'objet d'un nouvel arbitrage.
A ce stade du débat, on comprend dès lors que la question des retraites est un enjeu collectif. Elle ne peut se limiter aux seuls effets démographiques et à l'accroissement des charges de financement. Elle renvoie plus profondément au choix d'un type de société : d'un côté une société où subsiste encore le principe d'une solidarité inter et intra générationnelle, de l'autre une société où seule compte la propension individuelle à épargner pour espérer s'assurer contre les risques de la vie et les aléas des marchés financiers. Pour FO Cadres, le choix est clair : face à l'incertitude croissante de la carrière professionnelle, à la précarisation et à l'"impermanence" de l'emploi, la sauvegarde des retraites par répartition est capitale. Elle reste le seul moyen de garantir, par la mutualisation des risques et le principe de la cotisation sociale, l'assurance d'une retraite décente. La retraite est, à ce titre, un salaire différé rémunérant une période de temps libérée par les gains de productivité. Plus que jamais, la solidarité est nécessaire et elle mérite aujourd'hui que nous la défendions tous ensemble.


Eric PERES
Secrétaire général FO Cadres