En effet, l'accord collectif mettant en place le forfait jours devait prévoir les modalités de décompte des journées et demi-journées travaillées, mais également de prise des journées ou demi-journées de repos (ou d'absence). Toutefois, à défaut de précision dans l'accord collectif, lorsqu'une absence non rémunérée notamment pour fait de grève était inférieure à une demi-journée, les cadres soumis à un forfait jours pouvaient voir leur salaire amputé arbitrairement.
Ainsi, il n'était pas rare voire fréquent qu'un employeur décompte une demi-journée d'absence alors que le cadre n'avait exercé son droit de grève qu'une heure dans sa journée de travail.
L'arbitraire était donc de mise et les solutions adoptées par les directions des entreprises souvent abusives. C'est tout l'enjeu et l'intérêt de l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 13 novembre 2008 (n° 06-44608) qui d'une part propose une formule de calcul destinée à faire respecter un principe de proportionnalité dans la retenue sur salaire et d'autre part comble un vide juridique, tout en laissant une place prioritaire à la négociation collective. La solution n'était pas aisée puisque par principe toute référence horaire est inapplicable aux cadres soumis à un forfait jours.
En l'espèce, la société GIAT industrie avait édicté une note interne dont l'objet était de régler unilatéralement la question de la retenue salariale à opérer lorsqu'un cadre au forfait jours fait grève pour un laps de temps non comptabilisable en journée ou demi-journée. Ainsi, cette note précisait que les absences pour grève du mois précédent étaient cumulées et déduites de la paie lorsqu'elles atteignaient l'équivalent d'une demi-journée (par référence à l'horaire collectif applicable dans l'entreprise et comptée pour 3,90 heures ou d'une durée multiple de 3,90 heures), les heures restantes étant conservées et reportées dans le cumul du mois suivant.
La Haute cour profite de l'affaire portée devant elle pour trancher cette question et apporter un mode d'emploi applicable en toutes circonstances. Elle rappelle tout d'abord les principes essentiels applicables pour l'exercice de ce droit constitutionnellement reconnu : le principe de non discrimination, le principe de proportionnalité, le principe d'égalité de traitement entre les différentes absences quelle qu'en soit l'origine (grève ou autres absences non rémunérées).
La Chambre sociale délivre ensuite une formule de calcul pour déterminer la retenue sur salaire à effectuer et comble un vide juridique laissé par le législateur, qui en la matière s'est plus intéressé à allonger le forfait jours et à réduire le droit au repos des cadres.
Pour cela, la Cour s'est inspirée, sans clairement l'affirmer, des modalités de calcul de l'allocation de formation des cadres aux forfaits jours (prévues à l'article D.6321-7 du code du travail), tout en laissant une place privilégiée à la négociation dans le respect bien sûr des principes applicables en la matière.
Ainsi, elle indique qu'à défaut de précision de l'accord collectif, la retenue sur salaire doit tenir compte de la durée de l'absence et être calculée à partir du salaire mensuel ou annuel, d'un salaire horaire tenant compte du nombre de jours travaillés prévus par la convention de forfait et prenant pour base, soit la durée légale de travail si la durée du travail applicable dans l'entreprise aux cadres soumis à l'horaire collectif lui est inférieure, soit si elle est supérieure, la durée de travail applicable aux cadres.
Prenons l'exemple d'un cadre qui perçoit 45000 euros par an (salaire médian – APEC 2008) pour un forfait annuel de 214 jours (nombre annuel moyen de jours – Enquête ACEMO DARES 2004), qui fait grève pendant 1 heure et dont l'entreprise pratique les 35 heures.
On détermine tout d'abord un nombre d'heures fictif avec le calcul suivant :
214/217 x 151,67 x 12 = 1795 heures.
Le salaire horaire fictif est donc de 45000/1795, soit 25,07 euros.
La retenue sur salaire sera donc de 25,07 euros pour 1 heure d'arrêt de travail pour grève, au lieu de 62,50 euros pour la demi journée (3750 euros par mois x 1/60).
Cet arrêt a le mérite de poser une solution juridique inédite pour contrer celle des entreprises, souvent édictée unilatéralement alors que le forfait jours et la réduction du temps de travail reste du domaine de la négociation collective.
Plus encore, elle permet aux cadres aux forfaits jours de pouvoir exprimer leurs revendications professionnelles sans être discriminés dans l'exercice de leur droit de grève. La solution a d'autant plus d'importance à l'horizon des actions de grève et de manifestations du 29 janvier prochain.
12/01/2009