Depuis de nombreuses années, un écart croissant s’est creusé entre l’omniprésence des technologies numériques et le faible niveau de compréhension que nous en avons. Dans le monde du travail la majorité des salariés est tenu distance des enjeux qui se dessinent et des finalités qui sont poursuivis par le déploiement des outils numériques, mal ou peu informés par des entreprises, elles-mêmes parfois peu enclines à lever le voile sur leur véritable intention en la matière.
Or c’est tout au long de la chaîne algorithmique du concepteur à l’utilisateur qu’il convient d’agir au moyen d’une combinaison d’approches techniques, organisationnelles et juridiques pour veiller à ce que le déploiement de l’IA dans le monde du travail ne remette en cause la pertinence des normes du droit du travail. Car si la technique peut avoir un caractère magique et fascinant, elle écrase souvent les individus lorsqu’elle est au cœur de l’ordre professionnel.
Loin de céder aux sirènes d’un néo-luddisme fustigeant toutes innovations technologiques, c’est à l’appel d’un sursaut critique face au déploiement massif des outils algorithmiques notamment dans le monde du travail qu’il convient de répondre syndicalement.
Un sursaut pour recouvrer le pouvoir d’interroger la technologie à l’aune des besoins humains et des ambitions sociales ; un sursaut pour mettre à l’abri les travailleurs des tentatives du pouvoir économique et politique à les rendre translucide. Dès lors si l’entreprise fait sienne le secret des affaires pour protéger ses données, son intimité économique, les travailleurs ne pourraient-ils pas opposer dans le même esprit un droit à l’opacité ?
Le secret tout comme l’opacité obligent à voir dans ces deux termes aussi bien une donnée, une valeur qu’un danger. Entre l’opacité qui peut renvoyer à la dissimulation voire à un obstacle à la compréhension, et la transparence qui révèle et permet la connaissance de tout sur tout, le secret négocié serait le point d’équilibre entre ces deux contraires. En opposant le secret des travailleurs à l’empire absolu de la transparence à l’ère numérique, c’est le pouvoir de dire non à toute forme de déterminisme technologique qui serait ici assuré. Et si les solutions technologiques sont pour le moins séduisantes, voir enthousiasmantes, nous nous ne devons pas oublier que la technique ne doit jamais être une fin en soi.
Comme aimait à le rappeler Rabelais, « sciences sans conscience n’est que ruine de l’âme ».