Aussi le pouvoir d'achat peut-il augmenter globalement sans pour autant qu'il s'accompagne d'une amélioration sensible de la situation économique de l'ensemble des ménages. Et dans de telles circonstances la psychologie du consommateur n'est pas en faute. Dès lors parler du pouvoir d'achat en faisant l'économie de la structure des revenus et des modes de répartition des richesses, revient à regarder le doigt du sage qui nous désigne la lune.


Une stagnation du pouvoir d'achat peut signifier une hausse pour certains ménages et une perte significative pour d'autres. La stabilité de la répartition entre salaires et profit cache en effet des inégalités salariales très fortes. Non seulement la croissance des salaires nets depuis vingt ans est extrêmement faible, mais elle a été, en plus, particulièrement inégale. Ceux qui ont eu le privilège de voir leur salaire progresser plus que la moyenne sont aux deux extrémités de l'échelle. Les 10 % les moins payés ont profité faiblement du petit effet d'entraînement de la hausse du Smic, tandis que les très hauts salaires ont vu leur fiche de paye littéralement exploser. La part de la masse salariale perçue par les 1 % les plus riches (soit environ 130 000 individus) s'est accrue d'un point en dix ans, passant de 5,5 % en 1996 à 6,5 % en 2006. Et de ce point de vue, mieux vaut être du bon côté de la barrière. Car en plus de la montée du travail précaire, de l'intérim et du temps partiel, qui explique les pressions à la baisse des salaires, l'augmentation rapide et continue des dépenses de logement ont eu des effets dramatiques sur les budgets des plus modestes.


Des jeunes dont la proportion en emploi précaire est passée de 3% en 1982 à plus de 15% en 2007, avec une baisse du salaire horaire à niveau de qualification constant. Et que les difficultés à se loger vue la hausse des prix de l'immobilier rendent plus que vulnérables aux accidents de la vie. Une situation économique qui justifie pleinement des mesures volontaristes dans le domaine de l'emploi notamment des jeunes de moins de 30 ans dont le revenu salarial n'a cessé de diminuer depuis 1978. Encore faut-il que les politiques publics prennent le contre-pied des choix économiques qui ont prévalus jusqu'alors.


L'évolution du partage de la valeur ajoutée depuis 1959 révèle qu'en dépit du pic exceptionnellement élevé de la part salariale au cours des années 1975-1985, la part des salaires actuels reste inférieure de 4 points en moyenne : entre 1959 et 1975 elle oscille entre 70 et 72% et depuis 1990 elle varie entre 66 et 68%. Difficile dans ces conditions de partager l'analyse du rapport Cotis qui minimise par un choix de référence calé sur les périodes les plus récentes ce fait majeur. Car en termes de revenu national, cela représente une perte pour les salariés de l'ordre de 80 milliards d'euros par an. Soit environ 3 fois le plan de relance du gouvernement, estimé à 26 milliards d'euros sur deux ans. Un revenu national qui échappe aux salaires directs, aux retraites comme à l'ensemble des cotisations sociales. Un détournement de la part des richesses produites au profit des dividendes promis aux actionnaires et que l'exigence de rentabilité extrême du capitalisme a justifié à coups de pressions sur les salaires réels et d'appropriation démesurée des gains de productivité.


Alors qu'entre 1974 et 1985 les revenus disponibles nets des entreprises non financières constataient un recul substantiel des versements de dividendes de 12 à 20 milliards, conduisant les entreprises à avoirs recours à l'endettement pour financer leurs projets d'investissement, le compromis fordiste assurait en partie le maintien de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Mais depuis 2004 si le revenu disponible net des sociétés non financières devient à nouveau négatif pour atteindre 25 milliards d'euros en 2007 ce n'est plus du tout pour les mêmes raisons. Alors que les salaires stagnent, les dividendes connaissent une envolée spectaculaire : 77 milliards d'euros soit plus de 8% de la valeur ajoutée brute. En d'autres termes pour payer les actionnaires et répondre aux exigences toujours plus surréalistes du retour sur investissement (ROI ) à 15%, les entreprises ont à la fois comprimé la masse salariale pour tenir élevés des rendements alors que la valeur ajoutée ne pouvait au mieux grimper de 2 à 3%, et gonfler leurs dettes en cédant aux mirages de « l'effet de levier » des LBO. Autrement dit, réduire la part des salaires pour choyer et fidéliser les actionnaires au lieu de rémunérer le travail et soutenir l'investissement.


Un choix qui a conduit à la situation de crise que nous traversons. Quant aux implications politiques de l'actuel gouvernement qui découlent logiquement de ces constats, elles sont sans appel : multiplication des allègements en direction des très hauts salaires et des patrimoines, baisse du taux supérieur de l'impôt sur le revenu, bouclier fiscal, détaxation des dividendes et des successions, baisse de l'impôt sur la fortune (ISF) sont autant de mesures qui au-delà de leur inefficacité économique posent la question de la justice sociale et fiscale. En dépit des mesures d'investissement public, le refus du gouvernement de soutenir par l'augmentation des salaires la consommation des ménages les plus modestes va à l'encontre de l'urgence sociale. D'où l'enjeu d'une relance immédiate de la négociation salariale avec le conditionnement des aides publiques à la conclusion d'accords dans les entreprises et les branches. Une relance qui ne saurait ignorer le renforcement de la lutte contre la précarisation des emplois. Enfin, le combat pour les inégalités exige que soit engagée une réelle réforme fiscale dont la suppression du bouclier fiscal et le rétablissement de la progressivité de l'impôt sur le revenu sont les mesures les plus attendues.