La proposition telle qu'elle est présentée semble très attrayante. Pourquoi dès lors n'a t'elle pas rencontré de succès massif auprès des jeunes diplômés concernés ? En 2007, à peine 160 candidatures ont été reçues, sur un vivier de 3000, pour 70 postes à pourvoir et seulement 35 recrutés. Les entreprises partenaires ont justifié ce peu d'enthousiasme par le manque de communication et par la faible implication des enseignants. Pourtant, malgré une exposition médiatique importante, l'opération 2008 ne compte à ce jour qu'une trentaine de recrutés.


En examinant les offres d'emplois proposées à ces jeunes diplômés, on comprend qu'ils ne se soient pas précipités pour y postuler. Les postes de délégué commercial, de conseillers clientèle, ou de gestionnaires back office auxquels ils sont censés postuler sont bien éloignés du champ de compétences qu'ils ont développé dans leurs études.


Par ailleurs, on peut se poser la question de la réelle motivation des entreprises partenaires, si ce n'est de s'auto-promouvoir. Ouvrir 5 postes à des diplômés de Master de Recherche semble assez anecdotique lorsque l'on recrute dans la même année plus de 2000 jeunes diplômés - comme c'est le cas d'une des banques partenaires.


De plus, on remarque dans cette opération Phénix un aspect assez contradictoire. En effet, cette opération est née de l'idée que l'enseignement universitaire n'est pas adapté au monde du travail et permet difficilement l'insertion professionnelle des jeunes. Or, les jeunes diplômés recrutés dans le cadre de cette opération doivent effectuer une période de « remise à niveau » de seulement trois mois pour ensuite intégrer leur nouveau poste. Ainsi, on estime qu'au bout de ces trois mois, ils seront opérationnels sur des postes aussi divers que consultant en transaction, analyste coût, assistant technico-commercial, chef de produit ou encore gestionnaire back-office.


Si l'on suit cette logique jusqu'au bout, un jeune diplômé en Master de Recherche de Lettres peut en trois mois devenir opérationnel sur une pluralité de postes qui a priori ne faisaient pas parti de son champ de compétence : il est donc plus que bien adapté au monde du travail !


L'opération Phénix est en réalité révélatrice des préjugés qui entourent la question de « l'employabilité » des jeunes issus de l'université. On les considère comme peu opérationnels mais dans le même temps on est prêt à les placer sur des postes qui nécessitent des compétences dans un domaine de spécialité précis. Le nom même de cette opération a de quoi laisser perplexe : proposer à ces jeunes hautement diplômés de « renaître de leurs cendres » est à la limite de l'indécent. Ces jeunes diplômés ont certes choisi une voie offrant peu de débouchés professionnels, mais il ne faut pas oublier qu'un Master de Recherche n'a pas pour finalité de professionnaliser. Cela n'en fait pas une voie de garage pour autant. La qualité d'un diplôme ne se mesure pas uniquement à sa capacité d'insertion dans le monde de l'entreprise. Car dans ce cas, il faudrait remettre en cause toutes les filières qui mènent à des fonctions de chercheurs...


Pour considérer cette opération comme une réussite, il aurait fallu la proposer à tous les étudiants ayant choisi des filières offrant peu de débouchés c'est à dire l'étendre aussi aux jeunes diplômés de Master professionnel en Lettres et sciences humaines notamment. En effet, bien qu'ils aient choisi une filière professionnelle, leur insertion est encore très problématique.


Une étape indispensable à la mise en place de ce type d'opération aurait aussi été de dresser un état des lieux des compétences transdisciplinaires acquises par les jeunes diplômés de l'université. Les entreprises auraient alors découvert que ces jeunes diplômés détiennent des compétences facilement mobilisables et qui surtout seront une valeur ajoutée au sein d'une entreprise.


Cette étape nécessiterait une collaboration entre enseignants d'universités et entreprises partenaires afin de rendre les compétences des jeunes diplômés de l'université plus lisibles. Une collaboration pas forcément évidente mais qui faciliterait grandement l'insertion professionnelle de plus d'un million de jeunes chaque année.